
SUMUD
Quelle rentrée ! Des menaces de guerre tous azimuts, un génocide avéré, une crise politique doublée d’une crise sociale, un changement climatique à faire tomber des falaises, glisser des pans de montagne, engloutir véhicules, logements et populations : impossible de profiter psychologiquement de notre beau bronzage de l’été, il est parti, effacé d’un coup de baguette pas magique, et notre teint vire déjà au gris à force d’inquiétude. Quelles solutions ? Prendre la tangente. Loin du déni qui ne sert jamais à rien d’autre que s’emmêler un peu plus les pinceaux, la tangente présente de nombreux avantages confortables. Un genre de canapé douillet dans lequel se lover pour souffler un peu, redéfinir ses limites, se recentrer en choisissant une activité favorite : laisser sans saisie les pensées aller et venir librement, contempler la vallée du haut de la montagne (métaphore employée par les maîtres tibétains pour illustrer la pratique de la méditation), et compter ses respirations afin de se détendre en profondeur et se réaligner. Quand il n’y a rien à faire face à une négativité tenace, le mieux consiste à lâcher prise. À combattre, c’est toujours le moment tant il y a de causes à défendre, de dignité à honorer, sans oublier de s’émerveiller. Une pratique d’attention douce, de veille de l’esprit hors tension. S’émerveiller ? Dans ce contexte chaotique ? Précisément ! Dans la mesure où nous ne sommes clairement pas à Gaza, faisons l’effort de nous orienter vers ce que nous aimons : un chat, une fleur, un écureuil, une étoffe, un oiseau, un livre, une biche, une mélodie. D’ailleurs, à Gaza, nombreuses sont les illustrations vivantes de la force singulière de ses habitants, de leur résistance au malheur absolu : « Sumud », en arabe, ou esprit de résistance, "inébranlable persévérance". Si nous faisions comme eux, à notre échelle de bienheureux qui s’ignorent, un peu ramollis par la richesse ? Même relative, notre richesse - financière, culturelle, éducative, alimentaire - est bien réelle. C’est sa réalité qui la transforme en support d’anxiété, face au risque de la perte. Oui, les menaces sont permanentes et multiples. Oui, l’instabilité extérieure agite notre esprit et nous fait perdre de l’énergie. Oui, nous pouvons agir. Des gestes simples, des engagements de proximité, des choix quotidiens plus affutés, un regard dédié, des mots tendres, une solidarité universelle manifeste : c’est cela agir. À notre petite échelle, qui ne se pose pas au pied de l’Himalaya impossible à gravir, mais s’adosse avec raison à notre motivation de partager un amour, une paix délicate, et fragile. Gracile, peut-être, mais puissante comme un don du ciel. Ces modestes notes pèsent tendrement dans la balance des jours, ces battements de cils de notre cœur bercent nos nuits. Agir, parce que l’autre. Parce que soi. Nous, ensemble. Et lire, bien sûr. Nourrir à la lettre notre soif de bonheur, comme une intimité protégée. Cette bonté infinie que nous offrent les livres n’est-elle pas une forme de résistance ? Inébranlable persévérance.
Coline Enlart, Rédactrice en chef