Allain Bougrin dubourg
“DE NOMBREUX SUCCÈS COMPENSENT (EN PARTIE) LES DÉFAITES”

Allain Bougrain Dubourg cultive la conscience, le discernement, et la fidélité au monde animal. Vertu suprême, mais l’homme est modeste : le monde associatif constitue sa priorité, même si sa personnalité fait vraiment la différence sur le terrain des combats écologiques. Sa passion. Il compte à son actif bon nombre de victoires en faveur de la biodiversité qu’il sait incarner avec la fermeté nécessaires.
Quand on regarde tout ce que vous avez fait, et faites toujours, en faveur de la biodiversité, on se sent nul. À coup sûr. Pensez-vous avoir été un jour nul en biodiversité ?
Je le suis encore puisqu’il y a toujours tant à apprendre ! En introduction de la « Biodiversité pour les nuls », je souligne que je suis nul puisque j’ai bac -1. Et je pose la question : « Un nul peut-il être crédible, voire prescripteur pour d’autres nuls ? Je finis par admettre que ma longue expérience et, surtout, la collaboration de nombreux acteurs pour cet ouvrage m’autorisent à me lancer dans l’aventure. Et puisque l’on parle de nullité, j’aurais tant voulu -comme beaucoup de mes collègues- être capable d’identifier le chant des oiseaux en tendant l’oreille. C’est un art qui s’apprend, la LPO fait des propositions à ce sujet. Il faudra que je m’y mette !
Quel a été le facteur déclenchant de votre engagement ? Les actions de certains grands précurseurs que vous citez dans votre livre ? Vous situez-vous dans leur continuité ?
C’est une histoire d’enfance. Certains de mes copains aimaient le football (les plus nombreux !), d’autres les voitures, moi ce fut les animaux. A 12 ans, au lycée Eugène Fromentin de La Rochelle, je créais un Club des jeunes amis des animaux. Le Muséum d’histoire naturelle, voisin du lycée, m’a ouvert ses portes et la vocation s’est enracinée. La nature deviendrait mon futur, coûte que coûte. Tous ceux qui se passionnent pour la biodiversité ont le plus souvent été guidés par un mentor qui a révélé le potentiel d’émerveillement. Ensuite, chacun progresse selon ses rencontres et les circonstances de la vie.
Mais le facteur déclencheur du militantisme, je l’ai vraiment découvert en devenant président de la LPO et en constatant le braconnage inacceptable des tourterelles des bois dans le Médoc. Chaque année, 30 000 d’entre elles étaient abattues en pleine période de reproduction alors que la chasse était fermée. Il a fallu 20 ans pour y mettre un terme.
Pendant vos cinq décennies d’expérience de terrain, quelles sont les initiatives en faveur de la biodiversité qui vous ont le plus marqué ? Le plus satisfait en termes de résultats ? Le plus déçu ?
Par bonheur, il y a beaucoup de succès qui compensent (en partie !) les défaites. L’arrêt du braconnage dans le Médoc est devenu historique. De même que l’interdiction du piégeage des ortolans (10 ans de combat) ou la fin de l’usage de la glue. C’est l’engagement collectif des équipes de la LPO qui ont permis ces victoires.
Je retiens évidemment le principe du préjudice écologique initié par la LPO et obtenu au bout de 10 ans de procédure contre Total, en allant jusqu’en cassation. Aujourd’hui, cette avancée juridique figure dans le Code civil, c’est une fierté pour nous.
Ce qui a toujours guidé notre combat, c’est l’écoute de la science et le respect du droit. Ces deux piliers restent essentiels pour notre action. Et je recommande souvent aux ministres de s’en inspirer : personne ne pourra leur reprocher d’agir à partir de ces fondamentaux.
En quoi votre engagement envers la biodiversité a-t-il déterminé votre vie quotidienne ?
Elle l’a transformée car la communauté associative est devenue une seconde famille. C’est d’autant plus vrai qu’à la LPO, nous sommes très sensibles à la convivialité. Cette notion est devenue le ciment de notre engagement. La rançon reste évidemment qu’il faut demeurer disponible, parfois plus que de raison. La marée noire de l’Erika s’était déroulée en décembre 1999, nous avions tous abandonné les fêtes pour nous investir dans la sauvegarde du littoral et des oiseaux.
Cette dépendance à la cause génère également de belles rencontres, des moments inoubliables et même des histoires d’amour. Nous n’avons pas à nous plaindre. Saint Augustin disait : « On perd moins à se perdre dans sa passion qu’à perdre sa passion !
Si vous vous adressez à de vrais nuls, par quoi leur conseillez-vous de commencer ?
Adhérer à une association de protection de la nature. Elle peut vous entraîner sur le terrain pour progresser (chacun à sa mesure) en découvrant les singularités de la biodiversité. Elle favorise également les contacts humains, ce qui n’est pas négligeable. Parmi les premières actions, transformer son jardin en un « Refuge LPO » consiste à s’engager à respecter la charte dédiée. Il s’agit tout simplement (grâce aux conseils donnés) de poser des nichoirs, d’aménager une mare, d’accueillir les chauves-souris, de planter des essences favorables aux papillons, etc.
À quel niveau de l’échelle des qualités nécessaires à un engagement durable vis-à-vis de la biodiversité placez-vous la compassion ? Que recouvre-t-elle à vos yeux ?
J’ai la conviction qu’elle s’impose d’entrée. Nous sommes les dominants sur la planète nous avons à ce seul titre le devoir éthique de compassion à l’égard des plus faibles et, les plus faibles, c’est le vivant qui nous entoure. Le respect du bien-être animal me paraît fondamental. Il ne suffit pas de savoir qu’il existe quelques 5 000 espèces de mammifères et 10 000 espèces d’oiseaux, il ne faut pas oublier que derrière chaque espèce, ce sont des individus qui pensent, souffrent ou goûtent le bonheur. On ne peut pas protéger sans respecter, voire aimer.
Quelles sont les espèces (animales ou végétales) qui vous sont les plus chères ?
Enfant, c’était « les mal aimés », les reptiles et les rapaces qui étaient violemment persécutés. On donnait des primes pour tuer les serpents ou les buses. J’avais la naïveté de croire qu’en les réhabilitant, je sauverais toute l’arche du vivant. Il reste tant à faire…
Cela dit, la loi de 1976 sur la protection de la nature a mis un terme aux pratiques odieuses comme poser des pièges à mâchoires ou clouer les chouettes sur les portes de garage pour conjurer le sort. De même, tous les serpents sont désormais protégés.
Aujourd’hui, j’avoue mon admiration pour les martinets noirs qui passent leur vie dans le ciel (y compris la nuit !) et ne se posent que pour pondre et pérenniser l’espèce. Mais une araignée tissant sa toile me comble également de bonheur.
Faites-vous vôtre la citation de Dostoïevski présente dans votre livre « Tu as aimé la vie : il faut maintenant tâcher de la comprendre ». Ou bien préférez-vous nous confier votre mantra intime ?
Oui, parce que l’amour conduit à l’action, mais on pourrait aussi s’inspirer de Léonard de Vinci qui disait « Scrute la nature, c’est là qu’est ton futur ». Autre pensée éloquente, celle de Victor Hugo : « Le beau est plus utile que l’utile ». La nature est si belle que c’est d’elle dont il devait parler !
À titre personnel, je me suis risqué à quelques citations comme « Le ciel inspire la liberté, l’oiseau l’incarne » ou encore « Le panda est moins menacé que la colombe de la paix ». Dans un autre genre « Le coq au vin n’envie pas la poule au pot ». Et pour conclure « Mieux vaut être une poule mouillée qu’un canard laqué ! ».