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L'INTERVIEW
LE TOUR DE MON CORPS
Marie Bertherat
Illustrations : Julie de Halleu
Elle est tombée dans la potion magique quand elle était petite. Pourtant, Marie Bertherat n’a rien d’Obélix. Les muscles, les démonstrations de force, très peu pour elle. Pas de menhirs, non plus. De la méthode d’exploration et de réparation du corps qu’elle transmet dans son nouveau livre (un ouvrage, plus qu’un livre) émane une finesse et une douceur infinies. L’attention, la bienveillance et la patience, signent ici la pratique de l’Antigym avec une fidélité inaliénable à l’Antigymnastique de sa propre mère, Thérèse Bertherat, fondatrice de cette pratique de re-connaissance de notre corps. En faire le tour relève d’une intention pacifiante à long terme, d’une école de la patience et de la joie sereine : il faut du temps pour avancer par automassages, autopalpations, écoute du langage des muscles inconnus et des moindres tendons, supports de nos tensions dissimulées derrière des douleurs récurrentes ou des postures invalidantes. Il faut du temps et une autonomie certaine, à l’heure où les injonctions à la performance figent tout mouvement de délicatesse envers soi-même. Il faut de la curiosité, de l’audace, et de la confiance. Le livre de Marie Bertherat ne cesse d’y inviter ses lecteur·ices avec plus de 70 mouvements. Illustrés avec tendresse par sa fille, Julie de Halleux, les exercices qu’elle décrit n’ont rien en commun avec “la gym” que tout le monde connaît. Et subit. Il s’agit ici d’”Antigym”, le terme parle de lui-même. Une exploration, une découverte, une réconciliation ? La méthode s’apparente à tout cela à la fois, à l’échelle d’un univers sensible car notre corps est une planète à lui tout seul, un livre unique trop souvent refermé sur son histoire qui en devient illisible à force de stress et, parfois, souffrant de son langage insuffisamment entendu. Chaque mouvement dessine un chemin de tranquillité vers cette somme d’inscriptions singulières de la vie qu’il devient alors possible de s’approprier avec tendresse, de réparer, et d’aimer. Sans tambour ni trompette, sans réactions spectaculaires, mais en échos, en résonances subtiles, en émotions libératrices, l’Antigym fait son travail, efficacement soutenu par cet ouvrage et ses podcasts (dont 12 gratuits avec l’achat du livre), dans chaque cellule de notre corps. Un cadeau à s’offrir. Un avènement.
Les Éditions Martin de Halleux. 382 pages. 29 €

Marie Bertherat

L’ANTIGYM. UNE ODYSSÉE POÉTIQUE

© Les Éditions Martin de Halleux
Il émane d’elle une douceur et une attention en harmonie avec la méthode de découverte du corps qu’elle transmet à la suite de sa mère, Thérèse, fondatrice de l’Antigymnastique. Fidèle à cet héritage choisi, Marie Bertherat et sa propre fille, Julie de Halleux, le développent dans un beau livre d’exercices illustrés dont elle nous explique l’intention.
Votre mère, Thérèse Bertherat, a élaboré la méthode d’Antigymnastique devenue, aujourd’hui, Antigym. En quoi consiste-t-elle ?
C’est une méthode de « mieux-être », mais c’est aussi un état d’esprit : un regard bienveillant sur le corps, libéré des jugements, des idées reçues et des injonctions qui le font souffrir. C’est aussi un regard incisif qui nous met face à nos responsabilités et nous révèle notre liberté. Combinaison subtile qui reflète la personnalité hors norme de sa créatrice : anticonformiste, créative, intuitive, terrienne et pragmatique. Kinésithérapeute de formation, ma mère s’est très vite intéressée à d’autres voies thérapeutiques et sa méthode est le fruit de longues années de recherches et d’expérimentations. Elle est née de l’envie d’offrir à chacun la possibilité de se « réparer » soi-même en renouant avec son corps. Dans Le Tour de mon corps, on retrouve tous les fondements de la méthode, mais c’est avant tout un livre consacré au corps, « une odyssée poétique à travers son corps » pour reprendre les mots du docteur Émilie Keroguès-Lepitre qui en signe la préface.
Votre fille a dessiné les illustrations de votre ouvrage et votre petite fille y figure déjà à travers la dédicace. Ce livre n’est-il pas un témoignage de transmission durable ?
Travailler en famille est une tradition familiale ! Ma mère nous a fait participer, mon frère et moi, à son livre Le Repaire du tigre, mon frère comme photographe, moi comme modèle . Elle et moi avons ensuite co-écrit À corps consentant, récit des neuf mois de ma première grossesse, lorsque j’attendais ma fille Julie. Et, depuis maintenant une dizaine d’années, Julie participe à son tour à l’aventure Antigym avec ses magnifiques illustrations pleines de vie et de tendresse. La méthode créée par ma mère est si juste et si belle : comment ne pas vouloir la transmettre de main en main, de génération en génération ?
Que souhaitez-vous apporter aux femmes et aux hommes qui vous lisent ?
Un regard renouvelé sur leur corps : plus tendre, plus aimant, plus patient, à mille lieues de la quête de performance et du « no pain, no gain ». Et aussi, un chemin vers l’autonomie. Qu’ils n’aient pas à dépendre d’un maître, d’un coach ou d’un soignant. Qu’ils puissent avancer en confiance par eux-mêmes, sans pression ni modèle à suivre. Dans ce livre, je propose des mouvements simples et précis, conçus pour permettre à chacun de dénouer soi-même ses « nœuds ». Afin d’en faciliter la pratique, je les ai enregistrés en version audio, disponibles sur le site de podcasts letourdemoncorps.com. On peut ainsi les faire chez soi, tranquillement et à son rythme. Et comme il s’agit d’audios, et non de vidéos, puisqu’il n’y a rien à voir ni personne à copier, on n’a pas besoin de rester fixé devant un écran.
Que recouvre à vos yeux l’expression que vous employez en couverture du livre « pour se faire du bien » ? Beaucoup de méthodes prétendent ‘“faire du bien” : en quoi l’Antigymnastique s’en différencie-t-elle ?
Beaucoup de pratiques corporelles, même douces, restent empreintes de comparaison ou de « réussite », d’idéal à atteindre. Elles donnent des exercices à « faire » pour gagner en souplesse, des postures à tenir ou des enchaînements codifiés à réaliser. L’Antigym met l’accent non pas sur ce qu’il faut atteindre, mais sur ce qu’on peut ressentir ici et maintenant. L’idée n’est pas de bien faire, mais de sentir ce qui se passe en soi. La perception compte plus que l’apparence. On expérimente des mouvements, on éveille ses sens et ses sensations, on réveille des zones endormies, on ressent son corps pleinement vivant.
Comment adopter l’Antigym avec votre livre ? Comment celui-ci « fonctionne » -t-il ? Par quoi commencer ?
On peut lire Le Tour de mon corps en suivant l’ordre des chapitres, c’est-à-dire en commençant par les pieds et en terminant par les yeux, c’est un chemin simple et logique qui fonctionne très bien. Mais on peut aussi tracer son propre parcours en se laissant guider par ses envies ou besoins du moment. Dans tous les cas, on prend son temps, on chemine tout en douceur. Un jour, on explore son bassin du bout des doigts, un autre jour on se masse le ventre ou on se caresse les épaules. Un matin, on expérimente un mouvement, un soir un autre. On pratique lentement, en respirant, en se faisant plaisir.
Vous animez des ateliers en présentiel et en Zoom, vous formez des thérapeutes dans toute la France et dans le monde, vous enregistrez des podcasts, vous proposez des accessoires, vous avez écrit ce livre très complet : l’Antigym a de beaux jours devant elle ? Ne pensez-vous pas que les femmes ont plus que jamais besoin de ce regard sur elles-mêmes ?
L’Antigym propose, en effet, un autre regard sur soi qui va à l’encontre des pressions sociales, notamment celles qui pèsent sur les femmes. Au lieu d’imposer un corps mince, tonique, performant ou jeune, l’Antigym invite à accueillir son corps tel qu’il est, avec son histoire, ses marques, ses limites et sa richesse. Elle offre un espace de liberté dont les femmes ont, en effet, aujourd’hui grand besoin.
Qu’aimeriez-vous dire à vos lectrices et lecteurs sur leur corps et les soins à lui apporter ? Favorisez-vous une approche globale du corps par les médecines douces, une alimentation végétale ?
Notre corps est un trésor, notre bien le plus précieux. Il est aussi nous-même, le lieu où nous vivons, expérimentons, ressentons, créons, aimons. En prendre soin, le reconnaître, l’habiter pleinement, le respecter en le mettant régulièrement en mouvement, en lui offrant autant que possible un sommeil réparateur, une alimentation vivante, respectueuse du corps et de la nature n’est-il pas l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse se faire ? Loin d’être une contrainte cela pourrait devenir un art de vivre.