Comment la lecture d’une enquête scientifique sur la pollution sonore en milieu marin peut-elle produire sur nous un tel effet ? Cette hypersensibilité. Comme si notre oreille devenait douloureuse, notre ouïe tellement aiguisée que chaque parcelle de son se traduisait soudainement par une résonance intérieure profonde. Nous sommes l’océan, en nous vivent des cellules dont se figent parfois les ondes musicales émises subtilement, sans que nous n’en ayons conscience. Quand il y a du bruit, trop de bruit, notre langage sonore intime s’étouffe. Sans doute Laurence Paoli ne validerait-elle pas la métaphore. Même si nous avons parfois l’impression que le vacarme incessant dans lequel nous baignons en milieu urbain freine certaines de nos connexions cérébrales, aucun rapport scientifique n’établit, à notre modeste connaissance, de similitudes entre notre sensibilité au bruit, fût-elle extrême, et les dommages éventuellement irréversibles qu’engendre l’activité humaine sur les animaux aquatiques. L’auteure de cet ouvrage sur la bioacoustique sous-marine, pointu mais accessible au néophyte, s’emploie à nous faire entendre la portée mortifère de cette pollution majeure, moins connue que les autres pollutions subies par le milieu marin.
Pêche, transport maritime, sports aquatiques, exercices militaires, protection sismique, constructions offshores… toutes les gammes de fréquences sonores assaillent l’ouïe des espèces qui vivent dans l’océan. Jusqu’à, parfois, les tuer par groupes entiers. “Quand la pollution sonore étouffe les voix de l’Océan”, l’homme fait la sourde oreille, mais Laurence Paoli veille à lui faire entendre raison. Comment limiter cet impact tragique sur les animaux marins, baleines en tête ? Mesurer les dégâts occasionnés et mettre au point des solutions techniques visant à les atténuer constitue une première étape. Mais cela tiendra-t-il lieu de conscience des enjeux de survie de ces animaux ? La domination de l’homme n’est-elle pas aujourd’hui paroxystique au point de dénier la dimension abusive de sa place sur la planète ?
Quand on apprend que l’arrêt de la pollution sonore en milieu marin permet à l’activité animale de reprendre quasi instantanément, on se prend à rêver d’un monde aquatique réellement silencieux, respectueux, dans lequel règnerait à nouveau une biodiversité équilibrée et salvatrice pour toutes les formes de vie, y compris celle des êtres humains. Laurence Paoli en dévoile les possibles, études et expériences scientifiques à l’appui pour la première fois publiés dans cet ouvrage d’une vertigineuse profondeur à travers laquelle résonne à jamais le chant fondateur des baleines.